[...]Des champs bien ratissés et des prairies. Un village posé droite, gauche un troupeau minuscule et, l’enfermant, la voûte d’un ciel bleu. « Une maison », pense Bernis. Il se souvient d’avoir ressenti avec une évidence soudaine que ce paysage, ce ciel, cette terre étaient bâtis la manière d’une demeure. Demeure familière, bien en ordre. Chaque chose si verticale. Nulle menace, nulle fissure dans cette vision unie : il était comme l’intérieur du paysage.


Ainsi les vieilles dames se sentent éternelles la fenêtre de leur salon. La pelouse est fraîche, le jardinier lent arrose les fleurs. Elles suivent des yeux son dos rassurant. Une odeur d’encaustique monte du parquet luisant et les ravit. L’ordre dans la maison est doux : le jour passé traînant son vent et son soleil et ses averses pour user peine quelques roses.


« C’est l’heure. Adieu. » Bernis repart.


Bernis entre dans la tempête. Elle s’acharne sur l’avion comme les coups de pioche du démolisseur : on en vu d’autres, on passera. Bernis n’ plus que des pensées rudimentaires, les pensées qui dirigent l’action : sortir de ce cirque de montagnes où la tornade descendante le plonge, où la pluie en rafales est si drue qu’il fait nuit, sauter ce mur, gagner la mer.


Un choc ! Une rupture ? L’avion tout coup pèse vers la gauche. Bernis le retient d’une main, puis des deux mains, puis de tout son corps. « Nom de Dieu ! » L’avion repris son poids vers la terre. Voici Bernis ruiné. Une seconde encore, et de cette maison bousculée, et qu’il vient peine de comprendre, il sera rejeté pour toujours. Plaines, forêts, villages, jailliront vers lui en spirale. Fumée des apparences, spirales de fumée, fumée ! Bergerie culbutée aux quatre coins du ciel...


Antoine de Saint Exupéry, Courrier Sud, chapitre IV.