À ce moment- sa porte s’ouvrit de nouveau, doucement poussée, et Talouel entra à pas glissés, les yeux fixés sur le pupitre où lettre et son commencement de traduction se trouvaient étalés.
- Eh bien, cette traduction de lettre de Dakka, ça marche-t-il ?
– Je ne fais que commencer.
– M. Théodore t’a dérangée. Qu’est-ce qu’il voulait ?
– Un dictionnaire anglais-français.
– Pour quoi faire ? il ne sait pas l’anglais.
– Il ne me pas dit.
– Il ne t’a pas demandé ce qu’il y a dans cette lettre ?
– Je n’en suis qu’à première phrase.
– Tu ne vas pas me faire croire que tu ne pas lue.
– Je ne l’ai pas encore traduite.
– Tu ne pas écrite en français, mais tu lue. »
Elle ne répondit pas.
- Je te demande si tu lue ; tu me répondras peut-être.[...] S’il s’agit d’affaires personnelles je dois les connaître, et cela dans l’intérêt même de M. Vulfran. Ne sais-tu pas qu’il est devenu malade, à suite de chagrins qui ont failli le tuer ? Que tout à coup il apprenne une nouvelle qui lui apporte un nouveau chagrin ou lui cause une grande joie, et cette nouvelle trop brusquement annoncée, sans préparation, peut lui être mortelle. Voilà pourquoi je dois savoir à l’avance ce qui le touche, pour le préparer ; ce qui n’aurait pas lieu, si tu lui lisais ta traduction tout simplement. [...] J’espère que tu es assez intelligente pour comprendre ce que je t’explique , et aussi de quelle importance il est pour tous, pour nous, pour le pays entier qui vit par M. Vulfran, pour toi-même qui viens de trouver auprès de lui une bonne place qui ne peut que devenir meilleure avec le temps, que sa santé ne soit pas ébranlée par des coups violents auxquels elle ne résisterait pas. Il a l’air solide encore, mais il ne l’est pas autant qu’il le paraît ; ses chagrins le minent, et d’autre part perte de sa vue le désespère. Voilà pourquoi nous devons tous ici travailler à lui adoucir vie, et moi le premier, puisque je suis celui en qui il a mis sa confiance.
D'après Hector Malot, En Famille.