J'ai essay de me faire remarqu autrement. J'ai commenc à chapard dans les magasins, une tomate ou un melon à l'étalage. J'attendais toujours que quelqu'un regarde pour que ça se voie. Lorsque le patron sortait et me donnait une claque je me mettais à hurler, mais il y avait quand même quelqu'un qui s'intéressait à moi.
Une fois, j'étais devant une épicerie et j'ai vol un oeuf à l'étalage. La patronne était une femme et elle m'a v. Je préférais voler là où il y avait une femme car la seule chose que j'étais sûr, c'est que ma mère était une femme, on ne peut pas autrement. J'ai pr un oeuf et je l'ai mis dans ma poche. La patronne est ven et j'attendais qu'elle me donne une gifle pour être bien remarqu. Mais elle s'est accroup à côté de moi et elle m'a caress la tête. Elle m'a même d : " Qu'est-ce que tu es mignon, toi !". J'ai d'abord pens qu'elle voulait ravoir son oeuf par les sentiments et je l'ai bien gard dans ma main, au fond de ma poche. Elle n'avait qu'à me donn une claque pour me punir, c'est ce qu'une mère doit faire quand elle vous remarque. Mais elle s'est lev, elle est all au comptoir et elle m'a donn encore un oeuf. Et puis elle m'a embrass. J'ai eu un moment d'espoir que je ne peux pas vous décrire parce que ce n'est pas possible. Je suis rest toute la matinée devant le magasin à attendre. Je ne sais pas ce que j'attendais. Parfois la bonne femme me souriait et je restais là avec mon oeuf à la main. J'avais six ans ou dans les environs et je croyais que c'était pour la vie, alors que c'était seulement un oeuf. Je suis rentr chez moi et j'ai mal au ventre toute la journée.
D'après Emile Ajar (Romain Gary), La vie devant soi