Le capitaine se retourne vers moi : « All ! »
Il f lourd, une chaleur énervante malsaine. Des nuages flottent, qui peu à peu grossissent d’un noir terne qui va s’éclaircissant sur les bords, frang d’un blanc lég lumineux. Par instants des souffles passent sur nous, effluves tièdes qui charrient une puanteur fade, pénétrante, intolérable. Je m’aperçois que nous respirons dans un charni.
Il y a des cadavres autour de nous, partout. Un surtout, épouvantable, duquel j’ peine à détach mes yeux : il couch pr d’un trou d’obus. La tête décoll du tronc, par une pl énorme qui b au ventre, l entrailles ont gliss à terre ; elles sont noires. Pr de lui, un sergent serre encore dans sa main la crosse de son fusil ; le canon, le mécanisme doivent avoir saut au loin. L’homme a les deux jambes allong, pourtant un de ses pis dépasse l’autre : la jambe broy. Tant d’autres ! Il faut continu à les voir, à respir cet air fétide, jusqu’à la nuit. [...]
Je suis assis au fond de la tranch, les mains crois sur mes genoux pli ; j’entends devant moi, derrière moi, par toute la plaine, le choc clair des pioches contre les cailloux, le froissement des pelles qui lancent la terre, des murmures de voix étouff. Parfois, quelqu’un qu’on ne voit pas tousse crache. La nuit nous enveloppe, ils ne nous voient pas : nous pouvons enterr nos morts.
D'après Ceux de 14, Ceux de Verdun, "Mercredi 9 septembre", Maurice Genevoix