Poil de Carotte est en train d’écailler ses poissons, des goujons, des ablettes et même des perches. Il les gratte avec un couteau, leur fend le ventre, et fait éclater sous son talon les vessies doubles transparentes. Il réunit les vidures pour le chat. Il travaille, se hâte, absorbé, penché sur le seau blanc d’écume, et prend garde de se mouiller.
Mme Lepic vient donner un coup d’œil.
– À la bonne heure, dit-elle, tu nous as pêché une belle friture, aujourd’hui. tu n’es pas maladroit, quand tu veux.
Elle luicaresse le cou et les épaules, mais, comme elle retire sa main, elle pousse des cris de douleur.
Elle a un hameçon piqué au bout du doigt.
Sœur Ernestine accourt. Grand frère Félix la suit, et bientôt M. Lepic lui-même arrive.
– Montre voir, disent-ils.
Mais elle serre son doigt dans sa jupe, entre ses genoux, et l’hameçon s’enfonce plus profondément. Tandis que grand frère Félix et sœur Ernestine la soutiennent, M. Lepic lui saisit le bras, le lève en l’air, et chacun peut voir le doigt. L’hameçon l'a traversé.
Jules Renard, Poil de carotte, "L’hameçon"