D’ordinaire, aucommencement de laclasse, il se faisait un grand tapage qu’on entendait jusque dans la rue :lespupitres ouverts, fermés, les leçons qu’on répétait très haut tous ensemble en se bouchant les oreilles pour mieux apprendre, et la grosse règle dumaître qui tapait sur les tables :

« Un peu de silence ! »

Je comptais sur tout cetrain pour gagner monbanc sans être vu ; mais, justement, ce jour-là, tout était tranquille, comme un matin de dimanche. Par la fenêtre ouverte, je voyais mescamarades déjà rangés à leursplaces, et M. Hamel, qui passait et repassait avec la terrible règle en fer sous le bras.

J’enjambai le banc et je m’assis tout de suite à mon pupitre. Alors seulement, un peu remis de mafrayeur, je remarquai que notremaître avait sabelle redingote verte, son jabot plissé fin et la calotte de soie noire brodée qu’il ne mettait que les jours d’inspection ou de distribution de prix. Du reste, toute la classe avait quelquechose d’extraordinaire et de solennel. Mais ce qui me surprit le plus, ce fut de voir au fond de la salle, sur les bancs qui restaient vides d’habitude, desgens du village assis et silencieux comme nous :le vieux Hauser avec sontricorne, l’ancien maire, l’ancien facteur, et puis d’autrespersonnes encore. Tout ce monde-là paraissait triste ; et Hauser avait apporté unvieil abécédaire mangé auxbords qu’il tenait grand ouvert sur sesgenoux, avec ses grosses lunettes posées en travers despages.

Pendant que je m’étonnais de tout cela, M. Hamel était monté dans sa chaire, et de la même voix douce et grave dont il m’avait reçu, il nous dit :

« Mes enfants, c’est la dernièrefois que je vous fais la classe. L’ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l’allemand dans les écoles de l’Alsace et de la Lorraine... Le nouveau maître arrive demain. Aujourd’hui, c’est votredernière leçon de français. Je vous prie d’être bien attentifs. »

C’est en l’honneur de cettedernière classe qu’il avait mis ses beaux habits du dimanche, et maintenant je comprenais pourquoi cesvieux du village étaient venus s’asseoir au bout de la salle. Cela semblait dire qu’ils regrettaient de ne pas y être venus plus souvent, à cette école. C’était aussi comme unefaçon de remercier notre maître de ses quaranteans de bons services, et de rendre leurdevoir à la patrie qui s’en allait...

Alphonse Daudet, Contes du lundi, « La dernière classe (récit d'un petit Alsacien) »
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